L’Afrique de l’Ouest a été durement frappée par la crise économique ces dernières décennies et la précarité des conditions naturelles n’a pas été pour arranger les choses. Chômage, et pauvreté qui s’étendent désormais jusque dans les centres urbains, accès difficile aux services sociaux… malaise social. Les plans d’ajustement structurels (PAS) imposés par les institutions de Breton Woods ont fini de montrer leurs limites déstructurantes. Le social a été le parent pauvre des PAS. L’État s’est désengagé, le « développement » est sans finalité humaine et le social se meurt à l’autel de l’économisme. La dévaluation du Franc Cfa en janvier 1994 apporte le coup de semonce. La relance devient une illusion dans un contexte de mondialisation qui consacre l’hégémonie du néolibéralisme et l’Afrique de l’Ouest n’en finit pas d’être confrontée à des convulsions qui remettent en cause les équilibres les plus solides, y compris ceux des ménages éprouvés, cellules de base de la société, qui voient leurs revenus chuter, leurs équilibres internes rompus, leurs capacités s’amenuiser et leurs perspectives plus critiques. Contrairement aux prévisions classiques, la crise a plutôt élargi les ménages de manière générale à quelques exceptions près. Les anciens réseaux de solidarité sont réactivés, les mariages, du côté des hommes comme des femmes, sont retardés, la famille se gonfle. On se débrouille et on émigre. La migration devient une stratégie, affectant les zones rurales comme les centres urbains : dans la plupart des pays, les migrants constituent les piliers de la survie des ménages par les transferts qu’ils opèrent au profit de leurs familles et communautés restées dans leur pays d’origine. De Dakar à Ouagadougou, de Ndjaména à Bamako, de Lagos à Accra, de Freetown à Banjul, les ménages diversifient leurs activités économiques / petit commerce, petits métiers de réparation et de récupération, main d’oeuvre agricole dans les zones péri-urbaines, « exil » vers l’Europe et l’Amérique du Nord, mais aussi vers les zones Ouest africaines « favorisées »…. Et partout, l’informel constitue pour la plupart des familles la principale source de revenus, le secteur dit formel affichant l’incapacité à satisfaire la demande sociale. Pendant ce temps, la BM et le FMI lâchent du lest en reconnaissant l’échec des PAS et du Consensus de Washington. Ces institutions favorisent une remise de la dette via les Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DRSP) qui inaugurent une nouvelle ère de prise de décision démocratique tout en ne remettant pas en cause l’orientation néolibérale des États qui les portent. Presque au même moment, le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) suscite un consensus auprès des États africains à la 3 faveur de l’ambition d’investissements structurants massifs au niveau régional voire continental. Il ne rompt pas non plus ses amarres avec le néolibéralisme car nombre d’acteurs de la société civile entrevoient une sud américanisation au travers de l’appel forcené aux capitaux privés étrangers. La crise « informalise » tout : de l’alimentation aux relations personnelles en passant par l’habit, l’éducation et l’acquisition des biens d’équipement. C’est assurément l’élément structurant majeur de l’économie domestique africaine. La promotion d’un autre projet de développement axé sur une finalité humaine est devenue une exigence fondamentale. Ce sont par conséquent des dispositifs dans l’équilibre global de la société qu’il convient de réhabiliter par un processus de développement de l’intérieur.
Abdou Salam FALL est sociologue et chercheur à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), institut rattaché à l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar (Sénégal). Il est président du Réseau intercontinental pour la promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS). Il est également chercheur associé à la CRDC et membre du comité international de la revue Économie et Solidarités.
Omar Saip Sy est économiste à l’Université Rennes 1 en France.
ISBN 2-86978-112-1
CODESRIA 2004