Pratiquement trente années de travaux et d’études sur la question de l’armée dans la vie politique nous ont conduits à une impasse. En effet, les coups d’État ont été très nombreux et ont fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il n’est pas sûr que nos connaissances actuelles sur la question de la politique militaire se soient véritablement améliorées par rapport à ce qu’elles étaient au milieu des années 1960. De toutes les institutions majeures que nous avons en Afrique, l’armée est celle qui a fait le moins l’objet d’une étude systématique, malgré sa position-clef dans la vie politique. À mon avis, cette situation procède en grande partie du fait que nos travaux à ce jour ont porté sur le militarisme et non pas nécessairement sur l’armée. En effet, la force armée est l’élément dont nous négligeons le plus l’analyse dans l’étude du militarisme ou encore celui que nous omettons le plus souvent; et ce, de façon systématique. La majorité des travaux relatifs à l’Armée face aux Mutations Politiques sont en général beaucoup plus instructifs sur ce dernier sujet que sur celui de l’armée. D’autres travaux, notamment ceux des partisans de l’École de la Modernisation et de l’opposition libérale se sont penchés en particulier sur l’incidence de l’armée sur le processus décisionnel, sans pour autant donner des éléments d’information sur la nature d’une armée quelconque. L’on retrouve cependant parmi tous ces travaux des thèses fonctionnalistes qui ont eu l’effet d’écarter toute question fondamentale relative à la sociologie de l’armée-même. Par suite de cette démarche, l’armée est restée une institution obscure pour la majorité des chercheurs en sciences sociales. Valenzuela (1985, p. 136) critique l’absence de progrès dans ce domaine, de la façon suivante : « Bizarrement, au lieu de faire progresser la théorie des sciences sociales, les écrits « scientifiques » sur l’armée dans le Tiers Monde ont surtout eu une incidence sur le processus décisionnel, sur ses implications normatives les plus importantes. En effet, de l’avis de Valenzuela, la qualité de l’apport s’est dégradée avec le temps et, « alors que l’on peut dire des travaux théoriques des pionniers en la matière (tels que Finer) qu’ils étaient perspicaces, en un quart de siècle, les progrès réalisés ne sont pas beaucoup plus importants »
Eboe Hutchful
Dakar : CODESRIA, 1989.
23 p. (Document de travail, n°. 3)
ISBN 0850-2633